Trésors retrouvés : ne jamais oublier ?

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Lors du parcours autrichien et slovène sur les lieux de mémoire de Mauthausen auquel j’ai été invité il y a deux ans par Guy Dockendorf, une de mes plus grandes surprises a été de découvrir le nombre des noms de disparus reliés à la guerre d’Espagne. Et parmi eux, bien sûr, ceux d’origine catalane.

Sur le site même de Mauthausen, nous avons eu une longue conversation avec deux françaises, accompagnées de leurs enfants. Filles de Républicains, elles tenaient à ce que leur mémoire familiale se transmette, sans interruption.

J’avais, bien ancré dans ma mémoire, l’espace consacré aux résistants contre le franquisme dans le cimetière de Montjuïc à Barcelone. J’avais mis de côté les témoignages recueillis directement ou indirectement de part et d’autre d’une Catalogne qui tente de se réapproprier malgré les frontières et les oppositions à une réunification régulièrement demandée et chaque fois refusée, ou au mieux repoussée.

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Cimetière de Montjuïc. Cliché MTP.

Je me souvenais enfin du film documentaire consacré par le fils de Jordi Solé Tura au séjour roumain en contrebande de son père, luttant pendant des années pour une parole libre, avant le vote de la nouvelle constitution démocratique espagnole. Je l’ai rencontré alors qu’il était devenu Ministre de la Culture du gouvernement de Felipe Gonzalez, entre 1991 et 1993.

Tant de souvenirs épars, en effet, tous émouvants et prenants, mais j’avais mis de côté l’importance essentielle des témoignages photographiques, pourtant célèbres de Robert Capa et David Seymour. Sans oublier Gerda Taro dont le rôle a été trop longtemps minimisé !

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Sous le titre : « Trésors retrouvés par hasard », le quotidien La Vanguardia fait état des clichés d’Antoni Campana. Cinq mille clichés abandonnés, enfouis, traumatiques, quasi reniés par son auteur même, mais récemment sauvés d’une démolition en cours.

« Le photographe, mort en 1989, avait publié quelques photographies du conflit à Barcelone, notamment pour La Vanguardia, puis avait cessé. « Il était républicain, démocrate et croyant, écrit le site El Diario.es. Mais l’expérience traumatisante du conflit ainsi que l’utilisation (à des fins de propagande) que faisaient les deux camps de ses photos ont fait qu’il a préféré les oublier ».

« Il n’a jamais voulu que l’on apprenne qu’il avait fait des photos de la guerre », témoigne son fils Antonio dans La Vanguardia. »

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Ainsi, de mémoire en mémoire, rien ne s’oublie, rien ne se perd, mais faut-il encore que l’intérêt soit suscité et que les cérémonies mémorielles ne servent pas, comme celles qui ont eu lieu en France en 2018 à l’initiative du Président français, de faire-valoir à un oubli sans perspectives et références partagées.

Marc Tamisier a consacré à l’ambiguïté photographique un long texte référence « La mémoire et la photographie ».

Pour ne citer qu’un paragraphe :

« Mais l’historien est aussi le gardien de notre oubli, de notre responsabilité et de notre liberté. Pour vivre nous devons oublier. Nous avons dû oublier par exemple la responsabilité des allemands dans leur ensemble, et les fils de ceux qui laissèrent venir l’horreur, ou même qui la commirent, eurent ici la tâche la plus difficile. Mais oublier ne signifie pas effacer ; on sait toujours que l’on oublie, même si l’on doit faire appel à la mémoire pour savoir quoi. Ce qui est oublié doit donc rester présent, faire l’objet d’une mémoire toujours actualisée, mais tenue à l’écart du quotidien. L’historien est celui-là qui cultive cette mémoire, celle des camps notamment, qui en est le gardien scrupuleux et qui par là même maintient la possibilité de l’oubli. Sa conscience historique seule maintient le passé afin que nous puissions l’oublier. »

En noir et blanc, quelques-uns des clichés d’Antoni Campana

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